« L’écrivaine Régine Deforges est morte hier à l’âge de 78 ans ».
Ces mots, entendus sur France Inter le 4 avril au matin me ramènent instantanément et avant toute chose à l’ouverture de L’étranger. « Aujourd’hui maman est morte. », phrase distinguant à jamais Albert Camus.
Ma vie est parsemée de ces rappels littéraires. Le monde des livres est un monde passionnant et je suis ce que l’on appelle une bibliovore, ou encore lecturophile ou bibliophile (Personne qui dévore, lit avec passion, les livres).
« Les livres sont comme les rivières qui arrosent la terre entière, ce sont les sources de la sagesse. »
Comme le dit Karine Papillaud dans son article Ils sont ivres de livres : « Il existe une addiction silencieuse et ravageuse dont personne ne parle. Comme l’alcool ou les stupéfiants, la lecture rend accro ses usagers. La lecture, à la fois refuge et ouverture au monde, est une drogue qui enrichit. Il y a les petits consommateurs, avec un livre par mois, et les gros, qui vont jusqu’à cinq ou six par semaine. Mais lire fait du bien, et parfois sauve. » Ainsi, dès que j’ai le temps, je me régale de parcourir le cimetière des livres oubliés aux côtés de Daniel Sempere¹, de suivre Harry Bosch dans ses enquêtes à travers les ténèbres de Los Angeles², d’écouter Aurélien me parler de Bérénice³, ou encore de rire aux éclats avec Owen et Garp(4).
« Régine Deforges est morte hier à l’âge de 78 ans.» 
Rebelle, scandaleuse, courageuse, sulfureuse, perverse, combattante…Tant de mots ont servi à décrire l’écrivaine Régine Deforges tout au long de sa carrière. Que l’on adhère à ses écrits où qu’on les trouve diaboliques, nul ne peut nier que Régine Deforges a mené sa vie en tant que femme passionnément libre. Ses œuvres sont désormais des témoignages d’une vie entraînée à lutter contre les « qu’en-dira-t’on ? » et à défendre la liberté de création contre toutes les censures et tous les conformismes.
Cette phrase, ce matin-là, me rappelle donc la première phrase que nous adresse Meursault* mais porte aussi une nouvelle qui me touche. Avec la disparition de Régine Deforges, c’est une partie de Léa qui disparaît aussi.
Je découvre La bicyclette bleue à l’âge de 13 ans. Paru en 1983, il s’agit du premier tome des aventures de Léa Delmas, une héroïne aussi belle que rebelle se débattant dans les remous de l’histoire. Il est le premier tome d’une trilogie dont l’action se déroule pendant l’occupation allemande de la France et qui comprend également 101, avenue Henri-Martin et Le Diable en rit encore. Mais La Bicyclette bleue est surtout le commencement d’une saga comprenant dix ouvrages qui emmèneront Léa à parcourir l’Algérie, le Vietnam, l’Argentine, l’Algérie et Cuba toujours pendant les périodes de conflits, nous en apprenant toujours plus sur les situations politiques du 20ème siècle. Le titre se réfère au moyen de transport utilisé par Léa pour passer la ligne de démarcation. Ce livre, vendu à plus de 10 millions d’exemplaires et traduit en plus de vingt langues a, en plus de rendre son auteur mondialement célèbre, marqué de nombreuses générations et a rendu Léa Delmas, incarnée par Laetitia Casta à l’écran, immortelle.
« À quoi ça sert, alors, les livres, si ça ne donne pas un esprit plus grand ? » Pour l’amour de Marie Salat
La bicyclette bleue et Régine Deforges m’ont transformée en lectrice assidue. C’est cet ouvrage, recommandé par ma mère, qui a fait naître en moi cette soif de lecture, intarissable depuis. Que l’on se reconnaisse à travers le personnage de Léa ou non, Régine Deforges appelle tous ses lecteurs à se demander quels sont les choix qu’ils auraient faits dans des circonstances difficiles.
Régine Deforges est née un 15 août à Montmorillon en 1935. Elle est élevée dans différentes institutions religieuses où à l’âge de 15 ans, on lui dérobe son journal intime, où elle consignait ses pensées et l’amour qu’elle éprouvait pour une fille de son âge. Il s’agit là du premier scandale de sa vie qui la marquera à jamais et inspirera bien plus tard son deuxième roman, Le cahier volé (1978). Exclue de son institution et du paysage local de sa région de naissance, elle est contrainte de brûler ses autres cahiers.
« J’ai obéi, jeté dans le poêle ce qui me tenait le plus à cœur. Ma vie intime s’envolait en fumée. J’ai décidé que je me vengerais, sans savoir comment.»
Extrait de ses mémoires L’enfant du 15 août (2013)
Elle sera, au long de sa vie, tour à tour libraire, relieuse, éditrice, scénariste, réalisatrice et écrivain. Elle crée, avec son amant de l’époque et mentor, le célèbre éditeur Jean-Jacques Pauvert (le premier à publier Le marquis de Sade sous son nom d’éditeur), en 1968, sa propre maison d’édition, L’Or du temps. Elle devient par là, la première éditrice française. Le premier livre qu’elle publie, Le Con d’Irène attribué à Louis Aragon, est saisi 48 heures après sa mise en vente. Elle sera, par la suite, condamnée pour « outrage aux bonnes mœurs » et privée de ses droits civiques pour de nombreux ouvrages, dont la plupart font l’objet d’interdictions diverses voire, pour certains, de poursuites pour outrage aux bonnes mœurs. Sa recherche de la liberté et d’interdiction de la censure auront pour conséquence d’obliger Régine Deforges et L’Or du temps à déposer leur bilan.
« Je luttais contre la bêtise qui voulait m’abattre »
Elle aura été présidente de la Société des gens de lettres et membre du jury du prix Femina, elle a tenu une chronique à L’Humanité, dont des recueils ont été publiés. Parallèlement à son combat d’écrivaine, elle a mené des luttes sociales combattant pour la liberté, ou elle aura à titre personnel, été membre du comité d’honneur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et cosigné en 2009 un texte réclamant la dépénalisation de l’euthanasie.
Régine Deforges : Editrice sulfureuse et écrivaine féministe
À présent, elle repose au cimetière du Montparnasse. Sur sa tombe, elle a fait inscrire : « Ci-gît Régine Deforges, princesse Wiazemsky. »
Dernier hommage à Régine Deforges
Pour ton combat, pour tes œuvres, pour ce que tu as marqué les cœurs et les esprits, Régine, je te dis merci. C’est avec tes mots que cet article prend fin :
« Oui, merci de ce cadeau inouï : la vie. »
1 – L’ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon
2 – Série de polars de Michael Connelly
3 – Aurélien de Louis Aragon
4 – Le monde selon Garp et Une prière pour Owen de John Irving
* Meursault, héros de L’étranger d’Albert Camus
Ah, la lecture… Que d’heures passées à voyager sur ces petits caractères typographiques, qui forment des mots puis des histoires… Et oui, les vraies rencontres, comme racontées ici avec la grande Mme Deforges, nous font grandir ! Un bel hommage qui garde l’œuvre vivante. Merci !
Ma parole Régine n’est pas morte puisque sa vitalité semble être relayée par de jeunes plumes pleine d’enthousiasme !
Je n’ai rien lu de la grande Mme Deforges. Mais savoir qu’elle a pu transformer en lectrice assidue l’auteure de ce blog m’en donne l’envie ! Merci d’avoir éveillé ma curiosité et de perpétrer ainsi la grande chaîne qui relie les lecteurs, les livres et leurs auteurs.
voila un article bien interessant ! et parler d’une femme aussi libre que Régine Desforges est une bien bonne idée. Bravo! EW
Enthousiasme communicatif, énergie, vitalité, chaleur, voilà un article vigoureux et très bien documenté. Sa lecture donne un grand plaisir. MSteiner.
Merci pour ce très bel hommage !
Super article! Génial! Moi qui n’aime pas les livres de Mme Deforges, cet article m’a donné envie de les relire! Encore bravo!!! Article à présenter pour la fête de la femme!
Il était certainement important de relayer les articles parus dans la presse après la disparition de Régine DESFORGES. Elle n’a pas seulement été l’auteure de « La bicyclette bleue », mais une acharnée féministe défendant ce qu’elle estimait être sa liberté individuelle.
Encore « un dernier coup de coeur » pour cette formidable femme de coeur qu’etait Regine Desforges. Peut-etre pas le dernier apres tout. Un coeur pareil cesse-t-il vraiment de battre? Merci de nous rappeler cette question fondamentale,
Bibliovore ou lecturophile, je n’ai cependant jamais lu de livre de Régine Deforges, malgré le succès qu’on leur connait. Cet article m’a donné envie d’y remédier, merci !
Cela fait chaud au cœur de voir qu’il y a encore des jeunes qui non seulement adorent la lecture mais en plus savent écrire ! Et qui font donc partager avec force et talent cette passion. Heureux ceux qui ont mis la main sur ce trésor inépuisable…
Merci pour ce bel article ! J’ai lu moi aussi la trilogie de la bicyclette bleue, rue Henri Martin …à mon adolescence. Ton article me donne envie de relire ces livres et d’en découvrir d’autres de Régine Deforges.
« La Bicyclette bleue », « 101 avenue Henri-Martin », des titres qui me ramènent à mon enfance au cours de laquelle … j’ai vu ces livres dans la chambre de ma grande soeur, sans jamais en ouvrir un seul. De Régine Desforges je ne connaissais finalement rien avant de lire ce bel hommage à cette féministe sulfureuse! un grand merci pour cet article richement et judicieusement argumenté et référencé
C’est par sa chronique dans « l’humanité » que j’ai approché Régine Deforges. J’y appréciais son engagement pour des causes qui me tenaient à cœur ainsi que son écriture non conformiste. C’est pourquoi j’ai beaucoup aimé l’article d’Elsa Weber qui n’hésite pas à souligner cet engagement féministe et littéraire de Régine Deforges.
Dans cet article, j’ai appris notamment que « la bicyclette bleue » était la première partie d’une trilogie, dont je vais m’empresser de lire les deux autres ouvrages. Ainsi, Elsa Weber a rendu un bel hommage à l’audace littéraire et à la détermination de Régine Deforges.
Merci !
Un très beau texte contre la bêtise ce ceux qui voulait -veulent peut-être encore – (l)’abattre »!
Editrice à scandales et romancière à succès, papesse de l’érotisme, féministe, non peut-être tout simplement femme accomplie, libre… pour Régine Deforges quel « Tumultueux, le parcours »… L’article le rend bien!